Hugues, en préambule à cet entretien, et sachant que je vis à Colmar, vous teniez à évoquer une anecdote professionnelle liée à cette ville…
Colmar est un grand souvenir pour moi car c’est dans cette ville que j’ai donné, devant 3500 personnes, mon premier concert en solitaire pour lequel je m’accompagnais ou de ma guitare, ou d’un piano ou d’une flûte. Je remplaçais, à la dernière minute, un artiste défaillant dans le cadre de la Foire aux Vins.
Harry Lapp (célèbre producteur de spectacles, Nda) m’avait téléphoné en catastrophe afin de faire ce remplacement. Nous étions en plein mois d’août et mes musiciens étaient en vacances. Comme j’étais le seul artiste de disponible alors, il m’a prié de quitter ma campagne afin d’assurer ce concert. Je suis donc venu « contraint et forcé » par les lois de la solidarité. Je suis arrivé, seul avec une guitare et une flûte. J’y ai donné un spectacle totalement improvisé puis j’ai décidé de poursuivre cette expérience car la critique avait été exceptionnelle (« Hugues Aufray sans tambour ni trompette a enthousiasmé 3500 personnes »)…
C’était une réussite absolue et, de ce fait, j’ai continué dans cette voie en nommant mon spectacle « Hugues Aufray en solitaire ». J’affirme devant ce micro que je suis le premier à avoir donné ce type de concert puisque même quand Yves Montand se produisait seul sur scène, il y avait un orchestre derrière le rideau. Cette formule a souvent été reprise depuis. Aujourd’hui, même Patrick Bruel fait la même chose.
Je tiens à dire que j’ai fait cela longtemps avant. Je ne me souviens pas exactement de la date (probablement l’été 1977, Nda) de ce concert mais que ceux qui s’intéressent de près à ma carrière sachent que j’ai édité cette année un bouquin « Droit dans mes santiags » (Editions Didier Carpentier) dans lequel j’évoque bon nombre de ces anecdotes.
Nous allons faire un petit flash-back… Vous êtes considéré comme le plus digne représentant de la musique Folk en France. Un style que vous avez découvert au début des années 1960 à New-York. Pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre rencontre avec cette forme musicale ?
Je ne reprendrai pas le terme de « plus digne », ma modestie en souffrirait de trop…
Je pense, par contre, qu’on peut dire le premier car, effectivement, le « hasard » a fait que je me suis retrouvé à New-York en 1961. Au même moment apparaissait celui qui allait devenir, et qui l’est toujours, le leader mondial du Folk-Song et du Folk-Rock. J’ai nommé Bob Dylan…
Je l’ai vu pour la première fois, à ce moment-là, au Gerde's Folk City…
Je suis revenu à New-York en 1962 et j’y suis resté 6 mois en compagnie de Peter, Paul & Mary qui démarraient et n’étaient, pas encore, mondialement connus. Ils allaient « exploser » peu de temps après grâce à un titre dû au talent de songwriter de Bob Dylan, « Blowin’ in the wind ».
J’ai ramené de ce pays, et de cette expérience, la décision de faire de la musique apparentée au style Folk. Ainsi j’ai, enfin, trouvé mon chemin. Ceci pour vous dire qu’étant devenu chanteur professionnel tout à fait par hasard, mon premier disque remontant à 1959, j’ai compris que je n’étais pas vraiment fait pour ce métier. Je ne me sentais pas heureux dans ce qui me paraissait être la musique qu’on attendait de moi, c’est-à-dire la chanson « franco-française ». Je ne me reconnaissais pas dans cette musique que je ne méprise pas pour autant…
J’avais, il est vrai, une formation de folklore via l’Espagne où j’avais vécu pendant 3 années mais c’est bien 3 ans après avoir sorti mon premier disque que je me suis dit « Voilà ma musique, celle-ci m’intéresse ! ». Je voulais intégrer cette façon de chanter, de jouer de la guitare et d’écrire des chansons. Je revendique d'être le pionnier de cette catégorie de musique en France mais également d’en être le colporteur. Cela a été un travail de « transport », de transmission et de transposition puisque je vais transposer à ma façon en employant aussi bien des musiques sud américaines que d’autres continents. C’était déjà une forme de mondialisation de la chanson.
Il s’agissait, pour moi, de métisser la chanson française et d’ajouter quelque chose de nouveau. Pour les uns, il s’agissait d’une ouverture intéressante, voire un rajeunissement de la chanson française, alors que pour les autres je n’étais qu’un simple adaptateur, un copieur…
Le choc que j’ai éprouvé en allant à New-York en 1961 et en y découvrant tous les groupes (The Kingstone Trio, The Brothers Four, Peter Paul & Mary, Pete Seeger etc…) a été très important et j’ai souhaité ramener cette musique en France. Elle a marqué ma carrière…
Je crois que c’est justement Peter, Paul & Mary qui vous ont permis de rencontrer Bob Dylan pour la première fois. Cette première rencontre a-t-elle accentué le respect que vous lui portiez artistiquement ?
Je reviens un peu sur mon passé car lorsque je suis arrivé à Paris (Hugues venait de passer 3 ans à Madrid avec son père, Nda) à l’âge de 17 ou 18 ans, après mon baccalauréat, j’avais une culture musicale qui était classique. J’allais aux concerts classiques et me passionnais pour la musique romantique, Wagner, Rachmaninov, Ravel etc…
Je ne connaissais pas du tout la musique de « variétés »…
En Espagne, j’écoutais beaucoup de chansons andalouses, du Flamenco et différents folklores. Par la langue espagnole, j’avais aussi traversé l’Atlantique en découvrant la musique mexicaine et vénézuélienne. Je n’avais donc aucune culture en termes de variétés et je découvrais tout juste le Jazz. Après avoir été emmené à New-York, par Maurice Chevalier, j'ai été engagé dans un Club (The Blue Angel) où il y avait trois débutants: Peter, Paul & Mary. Ce sont eux qui m’ont permis de découvrir Dylan via sa chanson « Blowin’ in the wind » et c’est également grâce à eux que Bob Dylan est, par la suite, venu me rendre visite à Paris en 1963.
J’avais exprimé le désir de traduire ses chansons en français. Cela l’avait d’autant plus étonné qu’il était encore totalement inconnu, même aux Etats-Unis. Depuis - quand il me présente à ses amis - il me présente toujours comme l’un de ses « découvreurs », me plaçant presque avant les américains. Ces derniers voyaient en lui un auteur - compositeur mais ne voyaient pas un interprète. Moi j’avais vu, dès 1962, un interprète que j’imaginais facilement devenir une star mondiale.
Sa personnalité et sa façon de chanter m’ont, effectivement, conforté dans cette idée …
A l’époque, les gens qui chantaient avaient des « jolies voix » qui portaient, avec trémolos etc…
Moi, j’avais une voix brisée par les épreuves de la vie (principalement la mort de l'un de mes frères) et déjà 30 ans au moment de la sortie de mon premier disque. Entre 20 et 30 ans j’avais chanté dans des cabarets parisiens pour gagner ma vie. Je n’avais, cependant, ni ambition ni projet.
C’est alors que j’ai gagné un concours, auquel un ami m’avait inscrit, qui m’a permis d’obtenir un contrat chez Barclay. Cela m’a mis dans l’obligation de considérer que je pourrais devenir professionnel. Je me suis rendu à l’évidence; j’avais 30 ans, aucun diplôme, je gagnais ma vie correctement en chantant. Comme ce dernier point pouvait encore s’améliorer en faisant des disques et qu’il était déjà trop tard pour reculer, je me suis dit « allons-y ! ».
Dans les premiers disques (1959-1960), j’avais beaucoup de complexes…
En 1961, en écoutant Dylan et les américains chanter, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas qu’une seule façon de chanter et qu’il n’était pas nécessaire d’avoir les mêmes capacités vocales que Louis Mariano… J’ai découvert qu’on pouvait aussi chanter avec le cœur.
La façon dont chantait Bob Dylan a été déterminante pour moi. Je me suis dit que, comme il pouvait le faire, il n’y avait pas de raison que je ne le fasse pas à mon tour.
J’étais loin de considérer que je chantais aussi bien que lui mais enfin, je chantais…
C’est comme cela que j’ai débuté et je peux dire que le génie de Bob Dylan m’est apparu immédiatement…
Pour moi, le talent des autres est un cadeau du ciel. Je me dis de temps en temps « Quelle tristesse serait ma vie si j’étais auteur - compositeur - interprète et si je n’aimais que ce que je fais » (rires).
Au contraire j’accepte tout juste ce que je fais et je suis très critique vis-à-vis de mon propre travail. Quand j’entends Ray Charles, Bob Dylan, Frank Sinatra, la Callas etc… je me dis « Merci mon Dieu » !
Après avoir découvert Bob Dylan, avez-vous cherché à en savoir plus concernant ses propres sources d’inspiration. Vous parliez de Pete Seeger que vous avez rencontré, mais des gens comme Odetta vous intéressaient-ils aussi, cherchiez-vous à les connaître ?
Bien sûr !
J’ai rencontré Odetta à New-York alors que je chantais au Blue Angel. Elle est venue, m’a écouté et est venue me féliciter à la fin de mon concert. Woody Guthrie était déjà mort mais j’ai acheté tous ses disques. C’est également à ce moment que j’ai commencé à écouter de la musique Country. J’ai raté Jack Elliot & Derroll Adams, alors que j’aurais pu les rencontrer dès 1955, car je n’en avais encore jamais entendu parler. Ces deux artistes étaient les deux premiers hippies…
Avant eux il y a bien eu Jack Kerouac (célèbre écrivain américain auteur du fameux « Sur la route », Nda) mais lui portait un costard-cravate…
On peut dire que c’était un « beatnik » plus inspiré par le Jazz que par la musique Folk d’ailleurs…
Ce n’est même pas vraiment un beatnick, les beatniks sont arrivés un peu plus tard. Je ne sais pas quel nom on leur donnait alors (Hugues faisait, bien sûr, référence au mouvement de la Beat Generation dont Kerouac était l’un des leaders, Nda).
Jack Elliott portait ses cheveux longs, des santiags, un blue-jeans et un chapeau de cow-boy…
Avec Derroll Adams, je les ai vus à Paris où ils chantaient dans la rue. Jack Elliott avait une voix extrêmement « pointue » alors que la mienne était « sourde ». A cette époque je ne m’étais pas encore rendu compte de la valeur de cette musique. Il faut parfois un certain temps pour comprendre les choses… C’est le privilège des gens d’un certain âge. Ils ont eu le temps de se tromper et aussi celui de découvrir. J’ai rencontré Derroll Adams par la suite car il a longtemps vécu en Belgique. Il m’a accompagné, c’était un garçon merveilleux…
Toute cette « ambiance » va apparaître et va devenir le courant qui va révolutionner le monde de la chanson. Il y a bien eu des phénomènes « stars mondiales » comme Elvis Presley, que je ne conteste pas et qui est incontestable. Ce dernier est un phénomène personnel, un individu. Il n’a pas marqué et son style n’a pas demeuré. Plus personne ne chante comme Elvis Presley aujourd’hui, en dehors de quelques nostalgiques qui font des imitations. En revanche, tout le monde chante comme Bob Dylan (rires)…
Pour moi il y a deux Bob. Bob Marley qui a dominé toute la musique de couleur, y compris le Rap qui est issu du Reggae, et Bob Dylan qui va dominer tout ce qui est variété mondiale. Vous pouvez aller au Brésil, en Russie ou en Allemagne, partout vous y verrez des gens qui cherchent à faire du Dylan.
Dans le Rock il y a eu les Rolling Stones et les Beatles. Si, pour moi, les Stones se contentent un peu de reprendre la façon dont les noirs chantaient, je dois avouer avoir un penchant plus naturel pour les Beatles.
Dylan, lui, a réussi à créer un courant musical qui est issu de son observation auditive de gens tels que Woody Guthrie. Il ne chante pas comme un noir. Il chante le Blues très souvent mais on ne peut jamais dire qu’il singe une façon de chanter de bluesman. Cela a aussi ouvert la porte à des gens comme Renaud et, dans sa façon d'écrire, de Francis Cabrel…
Je pense que le courant Folk-Song et le courant Folk-Rock, qui s’avéraient être marginaux et élitistes à l’époque du Rock’n’roll de Johnny Hallyday, vont être finalement dominants.
Il y a une autre musique à côté de laquelle vous n’êtes pas passé, c'est le Skiffle, d’origine britannique. Vous l’avez aussi, d’une certaine manière, introduit en France (Hugues Aufray & son Skiffle Group au début des années 1960, Nda). Que représentait, pour vous, une personnalité telle que Lonnie Donegan, par exemple ?
C’était quelqu’un que je connais assez mal pour n’avoir jamais rien lu qu’il ait écrit sur son style et sa façon de chanter. Je pense qu’il s’était dit « pourquoi ne pas faire du Rock’n’roll sans batterie ? »…
Etant écossais, il a cherché à réunir quelques éléments typiques du folklore de son pays tout en y ajoutant des influences américaines. Avec cette voix magnifique qui était la sienne, et sans batterie, il a inventé le Skiffle qui est bien différent de la musique Country.
Quand j’ai débuté dans la musique, je n’avais pas de batterie et je me suis inspiré du mot Skiffle. Il faut dire que chez Barclay, personne ne voulait entendre parler de Folk. La jeunesse actuelle peut avoir du mal à l’imaginer. Dans les années 1950-1960, le monde n’était pas le même qu’aujourd'hui. Les français ne connaissaient rien à la musique américaine sinon, très vaguement, le Blues joué au piano par des jazzmen tels qu’Erroll Garner.
Donc rien à voir avec Woody Guthrie ou les bluesmen de la Nouvelle Orléans.
A cette même époque, la musique folklorique française, y compris en Bretagne, était en train de mourir. Il n’y avait plus que des vieux qui jouaient de la cornemuse, de l’uilleann pipe etc…
Ce n’est que dans les années 1970 qu’il y a eu une renaissance de la musique folklorique celte, reprise par les bretons, qui est nettement démarquée de la vraie musique celte. Avec une renaissance en Espagne, en Galice ou en Asturies, qui a réhabilité le mot Folk. En 1975, le mot folklore était réducteur et n’évoquait aux gens que la chanson « Ils ont des chapeaux ronds, vive les bretons etc… », la bourrée auvergnate et n’était réservée qu’aux vieux d’avant guerre. De ce fait, Barclay ne voulait pas de mon terme Folk…
La musique de mon Skiffle Group était un peu européanisée mais intégrait aussi bien la musique américaine que sud-américaine.
Vous l’évoquiez tout à l’heure, en 1963 Bob Dylan vous a rendu la politesse en venant vous voir en France. Vous avez forcément beaucoup joué ensemble à cette occasion, aviez-vous des projets communs ?
Non, en fait nous n’avons pas joué ensemble !
Bob Dylan avait une façon de prononcer l’anglais que même les américains ne comprenaient pas. C’était comme voir débarquer un chanteur avec un accent béarnais ou marseillais très prononcé et qui, en plus, utiliserait des termes en dialecte. Moi en tant que français, parlant mal l’anglais et ne le comprenant pas, ma passion pour lui est née du son de sa voix et de sa façon de chanter. Paradoxalement, pas du tout de ce qu’il disait…
C’est plus tard, lorsque j’ai traduit, que je me suis rendu compte à quel point ce qu’il disait était intéressant. Quand il est venu à Paris, j’avais un cousin qui s’appelait Mason Hoffenberg et qui était un poète américain que Dylan a beaucoup apprécié. C’est lui qui traduisait pour moi les chansons de Bob et lorsque je l’ai emmené Boulevard St Germain ou au Boulevard St Michel c’est toujours Mason qui jouait le rôle de l’interprète. De plus il faisait une musique que je ne connaissais pas, donc nous ne jouions pas ensemble. J’écoutais quand il venait chez moi et qu’il prenait une guitare ou qu’il jouait du piano… il a toujours joué du piano…
Il a compris que je l’avais compris, il a surtout compris que je l’aimais sans condition et que j’étais sensible, artistiquement parlant, à ce qu’il faisait.
A partir de là, il a eu un certain respect vis-à-vis de moi et nous conservons une amitié fidèle.
Dans les années 1960 nous n’avons, hélas, pas pu faire de musique ensemble.
La musique franco-française n’est pas une musique de rassemblement. C’est une musique individuelle…
Quand Jacques Brel chante « Ne me quitte pas », il n’est pas question de chanter avec lui. Le seul chanteur « folk et country » qu’il y avait en France était Georges Brassens. Je reconnaissais le talent de Brel, d’autant plus que je travaillais avec lui dans des Cabarets où il faisait un « tabac », mais dix de ses chansons pesaient moins lourd qu’une seule de Brassens. Je suis un homme qui aime le Folk, qui est une musique qui rassemble les gens !
C’est pour cela que les américains ont un patrimoine commun qui est formidable.
Il y a une « école » Brel en France avec des artistes tels que Bruel qui viennent sur scène avec leur guitare et qui font chanter le public. Ce qui est marrant c’est qu’il s’agit de chansons d’individus. Je ceci, je cela, je t’aime, je pense à toi etc…
Ce n’est pas des chansons comme « Will the circle be unbroken ?» (Air traditionnel américain écrit en 1907 par Ada R. Habershon et Charles H. Gabriel, Nda) …
Dans le Blues, même quand un type chante « je suis malheureux parce que ma nana m’a quitté », ce qui rassemble ce sont les musiciens qui accompagnent le chanteur. Ils connaissent la structure harmonique et les fondements de la chanson. Quand on se retrouve entre musiciens et qu’on ne se connaît pas, qu’il y ait un suédois, un allemand, un français, un américain etc… Qu’est-ce qu’on fait ? Ben on joue le Blues… Mais en France il n’y a pas une musique qui rassemble…
Maintenant les gens se rassemblent autour d’une chanson individuelle. C’est vraiment une spécificité française, l’individu, l’individu, encore l’individu et toujours l’individu… jamais le collectif…
Je vais donc me marginaliser malgré moi, car je suis un collectif permanent.
Lorsque vous avez enregistré votre album « Aufray chante Dylan », aviez-vous une ligne directrice en ce qui concerne votre travail d’adaptation de ses textes ? Le fait de le connaître personnellement vous a-t-il influencé à ce niveau-là ?
Ce qui m’a influencé c’est que lorsque j’ai découvert Dylan je me suis dit « ça c’est la musique que j’aime, je vais la partager avec mes compatriotes et mes amis. Comme la plupart ne parlent pas l’anglais, je vais traduire les chansons et je vais les chanter ! ».
Il s’était passé la même chose lorsque j’étais revenu d’Espagne. J’interprétais des chansons du folklore que je n’avais pas composées. Ce n’est que tardivement, et poussé par la faim, que j’ai commencé à chanter en français afin d’avoir plus de chances de retenir l’attention des directeurs de cabarets. J’ai chanté du Félix Leclerc, du Brassens, du Françis Lemarque mais je ne composais pas. Je ne voyais pas l’intérêt de composer et je ne le vois toujours pas d’ailleurs…
Je crois que la seule chose intéressante pour moi, et je le dis volontairement pour choquer les gens, c'est de gagner de l’argent car je suis comme tout le monde… j’ai besoin de vivre. J’écoutais, hier, une interview de celui qui est, pour moi, le plus grand écrivain de langue française du vingtième siècle, Louis-Ferdinand Céline. Quand on lui demandait pourquoi il écrivait, il répondait « pour gagner ma vie car, comme médecin des pauvres, je n’arrivais pas à payer mon terme ». La deuxième chose, plus noble, encore que moi je ne méprise pas l’argent, est de dire « on va partager quelque chose ». Quand j’entends une chanson d’un groupe vénézuelien je la traduis car c’est ma façon de la faire connaître, de la transmettre…
Pour le disque « Aufray chante Dylan », je n’ai pas très bien choisi le terme. Je me suis rattrapé 30 ans plus tard avec un autre disque « Aufray Trans Dylan ». En 30 ans, j’ai compris qu’on ne traduit pas mais qu’on transmet. Mon admiration pour Bob Dylan, sa musique et ses textes a été le moteur. J’ai pioché dans les premières chansons qu’il avait enregistrées, celles qui précèdent son passage aux instruments électriques en 1966. D’ailleurs l’une des raisons d’exister de l’album « Aufray Trans Dylan » est de me tester aux chansons électriques de l’auteur. Ceci dit dans « Aufray chante Dylan » j’avais fait « Cauchemar psychomoteur » ("Motorpsycho nightmare") dans une version électrique…
Justement, en tant que grand amateur de Folk, comment avez-vous ressenti le passage de Dylan à l’électricité ?
J’ai compris que la moitié des gens qui croyaient aimer Dylan ne l’avaient pas compris. Notamment Pete Seeger qui a cherché une hache pour couper le câble de la guitare électrique de Dylan lors du festival de Newport. Il n’y avait pas que la guitare électrique qu’il ne comprenait pas, il ne comprenait pas (comme tant d’autres) l’évolution de la philosophie ou de la pensée de Bob Dylan qui va être beaucoup plus prudent.
Au début il a chanté toutes les injustices de la société comme le racisme ou la guerre du Vietnam. Par la suite le combat qu’il va conserver, comme moi, est la lutte contre le racisme. Par contre il va prendre une position de recul très importante au moment du retour des soldats américains du Vietnam, par rapport aux boat-people ou par rapport aux gens qui insultent les vétérans du Vietnam, y compris les blessés graves. Il y a tout un mouvement de pacifistes idéologiques que Dylan va décevoir. De nos jours encore, beaucoup de gens sortent des concerts de Dylan déçus. Ils ne comprennent pas et estiment qu’il massacre ses chansons en les déstructurant.
Dylan n’a jamais cessé d’être Dylan, c’est-à-dire honnête avec lui-même, avant-gardiste et détestant la commercialisation répétitive dans laquelle presque tous les artistes tombent lorsqu’ils ont découvert une source de revenus importante. Il a évolué sachant que dans l’évolution, parfois, on déçoit. La passion que les gens ont pour les artistes est souvent liée à la nostalgie de leurs 20 ans. Actuellement vous avez les Rolling Stones qui arrivent à faire des tournées mondiales, je suis allé les voir au Stade de France et n’ai constaté aucune évolution de leur part. Lorsque je suis allé voir Bob Dylan dernièrement, j’ai pu constater que le chanteur d’avant-garde actuel c’était lui. Il n’y a personne d’autre…
Il est devant tout le monde. Tous les mouvements punk sont des clowns à côté de lui. Dylan est un type qui a fait le contraire du Petit Poucet, il efface les traces derrière lui. Il sait que la passion que certains publics peuvent porter aux artistes peut être totalement destructrice.
A partir du moment où on commence à se regarder dans la glace, on se répète. Comme l’a fait Picasso, par exemple, pendant toute une période de sa vie. Dans l’ensemble, les gens sont incapables de différencier un bon Picasso d’un mauvais. Il s’est tellement répété, qu’il y a forcément des mauvais Picasso. Aucun artiste au monde, à part peut être Johannes Vermeer qui a fait une quarantaine de toiles dans toute sa vie, ne peut se prévaloir de n’avoir fait que des chefs d’œuvre. Picasso n’a jamais rien détruit, lui…
Dylan n’hésite pas à se remettre en question et vous avez beaucoup de gens qui sortent de ses concerts déçus. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de lui rendre cet hommage.
Est-ce qu’à l’image d’un Dylan du début, de Joan Baez ou d’Odetta vous vous considériez comme un protest singer ?
Non…
Je crois que c’est Karl Marx qui a dit que seule la vérité est révolutionnaire.
Je suis un homme qui recherche la vérité car, contrairement à ce que les gens pensent, la vérité existe. Il y a une vérité mathématique dans le monde, une vérité scientifique…
Partant du principe que l’on vit dans un monde d’espace et de temps, on peut mesurer le temps et l’espace. On peut mesurer la distance entre la Terre et la Lune, des gens l’ont fait il y a très longtemps et c’était vrai. La vérité existe…
Ce qui m’intéresse dans Dylan, c’est l’homme vrai. La contestation est souvent liée à l’idée de politisation de la chanson. Il y a la gauche qui doit dire que tout ce qui est fait par la droite est mauvais et il y a la droite qui doit dire que tout ce qui est fait par la gauche est mauvais.
La vérité, ce n’est pas ça… Elle se déplace comme un ballon et passe d’un camp à l’autre. Dylan a réfuté le terme « protest song » alors qu’à un moment donné il aurait pu le revendiquer. Je continue aussi à rouspéter mais ce n’est pas ma profession. Sur ma carte d’identité n’est pas marqué « Aufray, chanteur contestataire », je laisse cela à d’autres.
Pourtant il y a toujours eu de l’engagement dans votre vie. Par exemple lors d’un meeting contre le racisme, au Palais des Sports de Paris en 1966, vous avez rencontré Martin Luther King. Que représentait-il pour vous ?
Il est venu à Paris afin d’assister à un spectacle donné par Harry Belafonte au Palais des Sports en mars 1966. Ce dernier a sollicité l’organisateur de la soirée, l’impresario Johnny Starck, afin qu’il trouve un artiste français qui partage ses idées. Je venais d’enregistrer « Les crayons de couleur » et j’ai été invité à chanter cette chanson sur le ring de boxe de la célèbre salle parisienne. Ceci s’est fait en présence de Martin Luther King. C’était une cause qui comptait énormément pour moi et je n’ai pas attendu Bob Dylan, ni de connaître les mouvements de Martin Luther King, pour faire barrage au racisme.
A l’âge de 12 ans, je m’étais battu à l’école car un petit camarade s’était moqué d’une petite fille en raison de sa couleur de peau. Elle venait de l’Ile Maurice et était ravissante. Peut-être que sa beauté a aussi été une des raisons de mon attitude (rires)… A cette occasion je me suis fracturé la main en lui mettant un coup de poing … C’était pendant la guerre, période durant laquelle ma maman a caché un jeune juif qui est resté un an chez nous. Il s’appelait Helmut Wolf… Je l’ai recherché après la guerre mais ne l’ai, malheureusement, jamais retrouvé. Il avait été déporté…
A cette période nous vivions dans le sud de la France et avec d’autres petits camarades juifs, nous avions préparé des boîtes de conserve, des sacs pour s’enfuir dans la montagne etc… Je m’étais organisé pour aider ces deux garçons à s’échapper en cas de représailles dans le village.
Le racisme m’a toujours paru odieux parce que c’est injuste. Cela part d’un principe faux et comme je vous disais que je n’aime que la vérité…
Nous sommes tous pareils, avec nos qualités, nos défauts et nos traditions.
Ce qui est gênant c’est que l’on confond race et culture. Si vous prenez un juif ashkénaze et un juif séfarade, ils ne s’entendront pas… ils sont racistes entre eux…
Ce n’est pas du racisme fondamental, c’est culturel. A mon sens, il n’y a pas de guerres de religions, c’est un mensonge historique. Il y a des guerres culturelles, ce sont les cultures juives, musulmanes et chrétiennes qui s’opposent. Quand on s’est débarrassé de tout le superficiel : manger ou non du cochon, porter quelque chose sur la tête, s’habiller d’une certaine façon…et qu’on arrive à l’essentiel qui est le mystère de la vie que nous n’arrivons pas à expliquer, nous ne savons pas qui remercier…
Quand on me fait des cadeaux j’ai tendance à dire merci. Quand je me lève et que je sens la fraîcheur matinale remplir mes narines et mes poumons je me rends compte à quel point il est bon d’être vivant.
On a tendance à dire « merci mon Dieu », mais c’est pas un mec qui a une barbe et qui vous dit de faire ceci ou cela. C’est de la connerie ça !
Ecoutez moi bien les jeunes, les guerres de religion n’existent pas. Ce qui vous oppose ce sont des traditions, des mœurs, ce qui est méprisable…
En même temps c’est respectable car c’est marrant de voir un mec habillé avec le costume folklorique de son pays. Mais quand une femme met une burka en disant que c’est le Coran, ce n’est pas vrai !
Ce qui me ramène à Dylan et qui me rapproche de lui, c’est le goût de la vérité… pas le mensonge.
Justement, faisons un bon en avant avec Dylan. En 1984 vous avez eu l’occasion de l’accompagner sur scène au Parc de Sceaux puis à Grenoble. Qu’avez-vous ressenti à cette occasion ?
J’avais des galas à cette période mais j’ai pu répondre favorablement à son invitation pour deux concerts. Au Parc de Sceaux il y avait plus de 70.000 spectateurs, et au moins 20.000 à Grenoble. Nous chantions « The times they are a changin’ » (adaptation française d’Hugues « Les temps changent », Nda) et j’ai eu un problème grave…
La structure de mon accompagnement traditionnel n’était pas la même que la sienne et j’avais une mesure en trop quelque part (rires). C’est la vie… je me suis rattrapé tant bien que mal…
Il existe des photos pour témoigner de ces deux journées …
Il m’avait aussi invité à le rejoindre aux Etats-Unis pour la « Rolling Thunder Revue » (tournée de 1975-76 durant laquelle Bob Dylan invitait des artistes aussi divers que Joan Baez, Roger McGuinn, Ramblin’ Jack Elliott, Bob Neuwirth, Kinky Friedman, Allen Ginsberg etc…), mais j’ai raté ça…
J’ai vraiment raté beaucoup de choses et je ne suis pas comme la chanson de Piaf « je ne regrette rien », moi je regrette beaucoup de choses.
Beaucoup de choses que je n’ai pas faites par timidité, par peur de faire mal, par complexe…
Si c’était à refaire, je ne ferais pas pareil…
Outre la musique de Dylan, dans votre carrière vous vous êtes aussi essayé à des sons inspirés du Folk-Rock californien, vous rapprochant musicalement de groupes tels que The Eagles ou Crosby, Stills & Nash. Avec le recul, pensez-vous que le public français était suffisamment ouvert à ce type de musique alors ?
Pas du tout…
En tout cas, ceux qui n’étaient pas prêts, c’était les médias. En France les médias ont un pouvoir qui n’existe pas aux USA. Là-bas c’est le public qui fait le succès d’une chanson…
Les « orientations » parisiennes dominent. C’est pour cela que l’on voit des artistes français qui font de grands succès à Paris mais qui, en province, ne font que des moitiés de salle.
Concernant mon goût pour la musique californienne vous faites allusion à « Transatlantic » qui était un disque pionnier. Alain Souchon et Laurent Voulzy m’ont confié que c’était, à l’époque, leur disque de chevet. Je sais que Francis Cabrel a, aussi, beaucoup aimé cet album…
J’avais été la première vedette française à aller enregistrer à Toulouse et je voulais fonder un groupe nommé Transatlantic au sein duquel tous les membres feraient leur propre album. Je l’ai fait pour Bernard Swell mais, malheureusement, la maison de disques WEA n’a pas cru à cette aventure et n’a pas souhaité médiatiser la chose. Je le regrette car, encore aujourd’hui, beaucoup de gens me disent que c’est un disque impressionnant de modernisme.
Ce qui est impressionnant c’est le pouvoir qu’ont les musiques de nous faire voyager aux USA alors que les sessions se sont faites à Toulouse. Vos collaborateurs étaient directement allés se plonger au cœur de ces musiques, est-ce exact ?
Georges Augier de Moussac et Bernard Swell étaient partis en Arizona où ils sont restés un an. C’est en revenant de leur voyage qu’ils m’ont présenté leurs maquettes. La grande majorité des musiques de ce disque sont signées Georges Augier de Moussac. C’était très « américain » et il est toujours très branché par ces sons. J’ai adoré la musique des Eagles, de Toto, de Jackson Browne, de James Taylor, Crosby Stills & Nash etc… je l’aime toujours…
C’est une musique qui coule de source pour moi, un mélange de Country, de Folk et de Rock…
Vous devriez, un jour, vous essayer à un album entièrement consacré à la Country Music. Ce style vous irait parfaitement…
C’est un autre problème, les médias français détestent la musique Country …
Quand je disais, tout à l’heure, que pour improviser sur du Blues on pouvait réunir des musiciens suédois, allemands, français, américains etc… J’ajoute que la musique américaine est très bien perçue dans l’ensemble de l’Europe, il y a une seule exception… la France…
Contrairement à ce que l’on pense, en France la plupart des gens n’aiment pas la musique américaine…
D’ailleurs quand Bruel a fait des reprises de vieilles chansons françaises, cela avait été un énorme succès pour lui. Quand Manu Chao fait une musique qui est presque du Tcha Tcha, du Paso Doble, de la musique sud-américaine, les gens prennent ça pour du Rock’n’roll.
La Country Music repose sur deux qualités. La perfection du rythme et la justesse de l’instrumentation et des chanteurs. Ils chantent sur des mélodies et des accords très simples; do fa sol ré… souvent des accords majeurs, rarement mineurs (les français adorent le mineur alors que la Country est souvent en majeur). Tout repose vraiment sur le talent des interprètes. Pour cela, il faut avoir des oreilles « propres » et « claires », qui entendent bien…
Les français n’entendent pas la musique, ils entendent les mots. Ce sont des littéraires…
Ils aiment Ferré, qui a beaucoup de talent, pour ses textes. C’est la même chose pour Souchon ou Cabrel, heureusement qu’il s’agit de très bons textes…
Puisque nous parlons de musique Country, je trouve aussi que les textes d’Eddy Mitchell sont magnifiques. Paradoxalement quand on cite les grands auteurs français on cite Brassens, Ferré, Brel, Ferrat alors que personne ne parle de Souchon ou d’Eddy Mitchell…
C’est comme Nougaro, on cite Gainsbourg alors que les textes de Nougaro sont beaucoup plus « chiadés » comme on disait autrefois.
L’avantage de Gainsbourg est qu’il avait compris les médias (billet de 500 francs brûlé en direct à la télévision, déclaration très directe à Whitney Houston chez Drucker…). La cote de Gainsbourg est, pour moi, celle d’un publiciste. Un peu comme Salvatore Dali qui avait un génie de la commercialisation et qui le faisait en se marrant.
Je reconnais le talent de Gainsbourg mais il est surestimé par sa médiatisation dont il est lui-même l’auteur. Nougaro n’a jamais, au contraire de Polnareff, montré ses fesses sur une affiche pour aller au devant d’un scandale. Ce dernier n’est pas dénué de talent mais il est presque aussi connu par ses « effets »…
Je n’aime pas les effets chez les artistes, c’est pour cela que je mets Brassens au dessus de tout le monde…
Depuis que je suis chez vous, vous me parlez énormément de peinture. Vous en êtes un grand amateur et peintre vous-même. Vous est-il déjà arrivé d’être ému par une toile au point qu’elle puisse vous inspirer pour votre propre travail d’auteur-compositeur ?
Je ne dirais pas cela de cette manière, ce n’est pas aussi direct…
Il y a les nourritures terrestres et les nourritures spirituelles. Quand je vois un tableau de Van Gogh, je constate tout ce qu’il dégage de grandeur dans l’amour de l’humanité, de la vie, dans le respect de l’être humain, de la nature...
Cela provoque un enthousiasme chez moi que je vais transformer mais je ne vais pas prendre un tableau et en faire une chanson. Cependant la force que me donne une œuvre que j’aime me donne l’envie d’être vivant et de ressembler à ces gens-là.
Je ne fais pas de vélo, mais je comparerais cela à être dans la roue d’un très grand champion comme Lance Armstrong (Hugues, un brin provocateur, insiste sur le terme grand champion et réfute toute idée de tricherie de la part du sportif américain, Nda), Eddy Merckx ou Jacques Anquetil. Même si vous êtes à plusieurs minutes derrière lui, c’est déjà pas mal. Donc il faut viser haut, comme dans le tir à l’arc. Plus la cible est loin, plus il faut que la flèche parte haut.
Quand vous voyez une belle œuvre, une peinture ou une sculpture qui provoque en vous un enthousiasme il faut essayer d'en faire autant !
Même si le résultat est beaucoup moins bien, c’est déjà pas mal d’avoir essayé…
L'année 2009 est marquée, pour vous, par la sortie d'un nouvel album ("New Yorker" label Mercury, sortie prévue fin octobre 2009), le troisième consacré à l'oeuvre de Bob Dylan. Pourquoi avez-vous souhaité, une nouvelle fois, le mettre à l'honneur ?
La réponse est simple...
Comme vous l'avez constaté, les tournées de Bob Dylan en France ne sont constituées que de très peu de dates (3 en 2009, Nda). Quand il fait 2 concerts en France, il en fait 15 ou 16 en Espagne...
Il faut dire que, depuis 1975, les médias l'ont laissé tomber. Ceci est lié au fait que Dylan, depuis cette période, n'accorde plus d'interview. Les journalistes français, qui sont des gens “très très importants”, ne l'acceptent pas et ne comprennent pas qu'on ne les reçoivent pas...
De ce fait, ils estiment qu'il n'est pas nécessaire de parler de Dylan, puisqu'il ne le souhaite pas...
Pour exemple, lors du concert du Parc de Sceaux en 1984, il n'y a eu presque aucun papier.
J'avais été invité à monter sur scène lors de ce concert et cela n'avait pas été repris dans la presse. A croire que le journaliste ne m'avait pas vu car il était parti avant la fin, n'a pas vu qu'il y avait 70.000 personnes ou il n'a pas voulu évoquer mon passage...
Il est visible que les médias se sont détournés d'un bonhomme car il avait une attitude considérée comme hautaine, ce qui n'était pas le cas...
Il a dit 100 fois qu'il n'accordait pas d'interview car il n'a rien à dire de plus que ce qui figure dans ses chansons. Un jour que Dylan passait à Lille, je l'avais attendu toute la journée avec Arnaud Delbarre (actuel directeur de l'Olympia) qui gérait le Zénith de la ville. Les musiciens étaient venus à 17h00 afin de procéder aux différents réglages alors que Bob n'est arrivé que 5 minutes avant le début du concert. Il est directement monté sur scène, sans dire bonjour à personne, puis il est reparti directement après...
Il y avait 1500 personnes dans la salle...
Huit jours plus tôt Cabrel avait chanté pour 16.000 personnes lors de concerts au même endroit...
A partir de ce constat on peut dire que Dylan a pratiquement disparu. Il n'y a plus que quelques “fous” comme moi qui le suivons encore...
Il peut remplir le Palais des Congrès mais je n'ose pas imaginer ce qui se passerait s'il faisait le Stade de France aujourd'hui...
J'ai intégré Universal en 2005 après avoir été privé de maison de disque pendant 25 ans, WEA m'avait rendu mon contrat en 1980...
Durant ces années j'ai fait de la production avec tout ce que cela comporte de difficultés liées à la nature même du métier que je pratique. La première chose qu'Universal m'a demandée était de faire un disque de duos. Dans ma solitude j'avais décidé de faire un disque en hommage à quelqu'un qui m'avait permis de survivre, à savoir Félix Leclerc...
Comme j'avais fait, dans le passé, “Aufray chante Dylan”, là j'ai enregistré “Aufray chante Félix Leclerc”...
Universal a eu la gentillesse de le graver et de le sortir mais n'en a pas fait la publicité. De ce fait personne ne connaît cet album que j'aime beaucoup et qui restera un “collector”...
Par la suite, ils ont voulu que je fasse des reprises. On m'a proposé des chansons des Rita Mitsouko, de Kent etc...
J'ai répondu que je ne sentais absolument pas la chose et que je voulais enregistrer des compositions originales. J'ai donc enregistré des belles chansons qui se retrouvent sur l'album “Hugh”...
La promotion a été très moyenne et il ne s'est rien passé autour de ce disque. Pour le troisième CD ils ne voulaient rien savoir et m'ont dit que ce serait des duos ou rien du tout. J'ai accepté en précisant que je ne voulais pas d'un disque “Aufray chante Aufray avec les copains” mais d'un concept qui permettrait aussi de refaire parler de Bob Dylan. Ceci tout en rassemblant autour de moi des gens qui ont adoré Dylan...
Le projet a enthousiasmé Universal et c'est ainsi qu'est né le “French Tribute to Bob Dylan” !
Pour réaliser la chose j'ai voulu être avec les meilleurs de cette époque. Je ne voulais pas qu'il n'y ait que des jeunes mais aussi des artistes qui ont connu et aimé Dylan.
Ainsi nous y retrouvons Eddy Mitchell, Francis Cabrel, Arno, Alain Souchon, Jane Birkin, Laurent Voulzy, Bernard Lavilliers etc...
J'ai tout de même choisi un jeune, Pep's...
C'est un artiste qui s'est fait connaître par Internet et qui a fait pendant 10 ans du cabaret. Il y a deux ans il est devenu très à la mode en Haute-Savoie. Un ami, un jeune garçon, m'a suggéré de m'occuper de lui, lui trouver un label car il estimait que le titre “Liberta” pouvait être un grand succès ...
J'ai trouvé que c'était très beau mais je ne pouvais rien faire pour lui malheureusement. Un an plus tard le jeune garçon qui m'avait parlé de ce disque s'est tué en voiture...
Lors de son enterrement la musique de Pep's a été diffusée, tout le monde était bouleversé...
Connaissant la famille de Rodolphe, ce jeune disparu, j'avais dans le coeur de faire quelque chose pour ce chanteur. Au moment de l'enregistrement de l'album, Pep's (pseudonyme tiré de sa profession : Professeur d'éducation physique et sportive) devient numéro 1 en France sans avoir de Maison de disque. Universal a signé cet artiste et j'ai, de ce fait, demandé à la Major de l'inviter sur mon album.
Ensemble nous avons fait “I shall be released” adapté en "Nous serons libres”...
J'ai également voulu enregistrer avec Didier Wampas, qui travaille à la RATP ...
Dans la chanson “Rainy day woman” (aussi connue sous le nom “Everybody must get stoned”, “Tout le monde un jour doit être drogué”) que je lui ai demandé de chanter (et qui était intraduisible car uniquement constituée de jeux de mots), il dit ceci :
Planté comme un' sirène aux Sargasses
Planté par un joint de culasse
Planté sur un' ligne RATP
Planté sur un' route défoncée...
Non je n'suis pas le seul à qui c'est arrivé
Tout l'monde un jour s'est planté
Y compris Wampas...
J'ai fait en sorte que chaque chanson corresponde au chanteur qui est avec moi.
Il y a aussi Carla Bruni qui m'a choisi, elle m'a devancé en fait...
J'étais aux côtés de notre Président de la République, Nicolas Sarkozy, à l'occasion de la réception à l'Elysée d'Ingrid Bétancourt. J'avais participé, avec Renaud, à quelques concerts de soutien organisés pour elle. Le Président m'a demandé quels étaient mes projets, je lui ai donc parlé de mon hommage à Bob Dylan. Au même moment arrive Carla Bruni qui était dans le jardin...
Entendant la chose elle a voulu chanter avec moi “Don't think twice it's all right” ("N'y pense plus tout est bien") en do majeur...
C'était exactement le titre que j'imaginais faire avec elle... il n'y a vraiment pas de hasard dans la vie...
Le duo avec Jane Birkin est très important. Pour elle j'ai choisi un morceau qui lui va comme un gant. C'est "Just like a woman" ("Tout comme une vraie femme")...
Elle ne voulait pas enregistrer une version "féminisée" que j'envisageais d'écrire pour elle. Elle a voulu rester dans l'esprit de Dylan, chantant en anglais puis en français avec beaucoup de personnalité. Nous évoquons une enfant qui se conduit, à la fois, comme une enfant et comme une femme. Elle le fait avec un naturel désarmant, ce morceau lui convient parfaitement. Elle a apporté une note extraordinaire en détruisant légèrement la mélodie, comme le fait Dylan actuellement. Je n'aurais pas pu me permettre de le faire, mais elle est anglaise et adore Bob Dylan. C'est une note extrêmement originale, elle le fait avec beaucoup de talent....
J'ai transporté un jeune chanteur de folklore, Bernard Lavilliers, au Mexique pour une version de “Knocking on heaven's door” ("Knock knock ouvre-toi porte d'or")...
Je n'ai pas voulu reprendre la formule Reggae, ni en faire une version cubaine. J'en ai fait une chanson tex-mex avec des accents de "mariachis".
Le dernier des “jeunes”, c'est un type qui s'appelle Johnny Hallyday pour lequel j'avais écrit une chanson, il y a très longtemps, que je rêvais de chanter avec lui...
Elle se nomme “Forever Young” (“Jeune pour toujours”)...
Cette année je fête mes 50 ans de carrière, je passe le Cap Horn de la vie (Hugues Aufray fêtera ses 80 ans en août 2009) alors que Johnny s'embarque pour sa dernière grande tournée.
Quand vous entendrez, le 18 août 2009 jour de mon anniversaire, la mise en radio de cette version, vous serez convaincus que j'ai bien fait de demander à Johnny de faire ce titre avec moi.
Son interprétation est magnifique...
C'est incroyable, cela fait des années que je me demande pourquoi Johnny n'a jamais enregistré “Forever Young” et là vous m'apprenez que vous lui aviez adapté ce titre il y a très longtemps...
Il a, enfin, accepté de le faire cette année...
Je n'ai jamais eu, dans ma vie, de vraie traversée du désert dans la mesure où le public ne m'a jamais abandonné. J'ai toujours fait des tournées, y compris dans les périodes difficiles, avec 6 ou 7 musiciens. Beaucoup d'artistes de ma génération ne tournaient plus alors que sur des bandes d'orchestre ou, au mieux, avec 3 musiciens.
Les médias m'ayant complètement oublié, il y avait malgré tout une forme de désert...
Je suis très ami avec Gérard d'Aboville qui a traversé l'Atlantique et le Pacifique à la rame. Donc je pouvais aussi traverser le désert à la rame, c'est ce que j'ai fait....
Quelques fois, dans la vie, on fait des efforts énormes pour obtenir quelque chose et on y arrive pas. Puis, sans qu'on lève le petit doigt, les choses tombent...elles viennent au moment où elles devaient venir...
Johnny, pendant 15 ans, m'a fait “trimer” avec ce “Forever Young” et voilà qu'en 2009 il accepte de l'enregistrer. C'est un cadeau du ciel et j'estime que l'ensemble de ces enregistrements est béni. On peut dire qu'il y a eu la main de Dieu car il doit exister d'une certaine manière... Il a dû se dire “Hugues j'ai été dur avec toi, je ne t'ai pas épargné donc je vais te récompenser en obtenant Eddy Mitchell pour chanter “Girl from north country - La fille du nord”, Cabrel pour interpréter magnifiquement “Blowin' in the wind - Dans le souffle du vent”, Arno pour “Heartland - Au coeur de mon pays”, Alain Souchon pour “Man gave names to all animals - L'homme dota d'un nom chaque animal”....”.
Sur ce dernier titre j'ai écrit :
Il vit un' fourrure rousse qui flânait sur la mousse
Cueillant saumon et framboise à la source
Bourru, hirsute, nonchalant dans sa course
Lui, il s'appellera Ours
Sachant que le pseudo de son fils est Ours, je ne vous dis pas à quel point Alain Souchon était heureux de venir chanter avec moi. Il m'a dit “C'est incroyable, je commence la chanson par le surnom de mon fils !”...
Justement sur cet album il y a des textes que vous avez déjà eu l'occasion de chanter sur “Aufray chante Dylan” et “Aufray Trans Dylan”. Y avez-vous apporté certaines modifications, en fonction de l'actualité par exemple ?
Pour “Blowin' in the wind” j'ai complètement refait le texte. Il n'y a plus un mot du texte réalisé en 1964-65 avec Pierre Delanoé. Ce dernier était très célèbre et talentueux. Sa présence me donnait une certaine “caution” littéraire mais je l'avais aussi pris car, à l'époque, je faisais beaucoup de galas. Je n'avais pas beaucoup de temps et je suis très lent. Par exemple, pour traduire “Like a rolling stone” il m'a fallu 6 ou 7 mois... J'en ai écrit 42 versions ...
Pour “Blowin' in the wind” tout le texte est nouveau et me semble plus près de la forme poétique de Dylan.
Concernant “Heartland”, chanson que Dylan a écrite à l'origine en collaboration avec Willie Nelson, pour aider les fermiers américains qui étaient ruinés par une sécheresse (concept poursuivi avec les fameux concert “Farm Aid”), j'ai fait un nouveau texte et écrit de nouvelles choses qui ne figuraient pas dans la version originale.
Comme la chanson était courte, il n'y avait que deux strophes, nous avons rajouté un solo d'harmonica et un couplet original pour Arno. Je me suis permis de le faire car je sais que Dylan est d'accord avec moi. De plus je ne me contente pas de traduire les mots mais aussi la pensée...
Aujourd'hui les paysans de la terre sont en difficulté, avec le prix du lait par exemple...
Il y a aussi les “paysans de la mer”, les marins pêcheurs qui connaissent une passe très difficile.
Pour eux j'ai écrit :
Il y a ces marins pêcheurs dans le soir, qui cherchent un horizon
Mais la mer est trop noire, trop amère et le ciel sans pardon
Ce vaillant chalutier reste à quai , l'équipage est en rade
Bruxelles a sorti ses filets, adieu les barricades...
Ce texte, dans la bouche d'Arno, fait un sacré effet...
C'est donc une légère actualisation car je pense, comme je vous l'ai dit, que la vérité se déplace...
Je ne voulais pas que cette chanson reste américaine, je voulais qu'elle devienne celle d'un chanteur qui se penche sur un fléau social qui affecte des catégories bien précises, les paysans et les marins pêcheurs...
Outre toutes ces vedettes, que vous venez de citer, il y a eu un choix très réfléchi concernant les musiciens qui ont participé aux sessions. On y retrouve des artistes qui ont jalonné la carrière de Dylan. Je pense à l'harmoniciste Charlie Mc Coy, au guitariste Larry Campbell, au batteur David Kemper etc...
Comment s'est passée la sélection de ces gens et, allons plus loin, l'enregistrement à leurs côtés ?
Je ne voudrais pas que cela soit interprété d'une façon négative mais, au départ, il était prévu de faire le disque avec les musiciens actuels de Bob Dylan: comme le bassiste Tony Garnier, le batteur George G. Receli etc...
Ils avaient donné leur accord et nous avions prévu des dates d'enregistrement ensemble. Malheureusement, Dylan ayant rajouté des concerts à sa tournée, ils n'étaient plus libres. Je suis resté très copain avec ces gens-là et c'est eux qui m'ont proposé de faire appel à Larry Campbell que j'admirais beaucoup.
Ce dernier joue actuellement, de façon régulière, avec le groupe de Levon Helm qui était le batteur du groupe The Band. Il s'est chargé de jouer de la guitare, du fiddle (violon) et de la mandoline sur mon disque. Moins connu en France, le guitariste David Mansfield (qui lui aussi joue de la mandoline et du violon) a aussi joué avec Dylan et les plus grands noms américains de la Folk et de la Country Music. A la basse et à la contrebasse nous avons Byron Isaacs qui joue dans l'esprit de Tony Garnier. Comme nous le disions, nous avons la chance d'avoir eu David Kemper (le batteur qui a joué le plus longtemps avec Dylan mais qui a aussi fait partie du Jerry Garcia acoustic Band, Nda) à la batterie.
Tous ont été dirigés par un musicien magnifique, Brad Cole qui est une sommité de Nashville. Il a également écrit les arrangements...
Christian Séguret (multi-instrumentiste français spécialisé dans la Country Music, Nda) a fait quelques ajouts, en particulier sur la version de "Knockin' on heaven's door" avec Bernard Lavilliers.
Il y a aussi Charlie Mc Coy, qui est une véritable légende...
Oui !
Il m'a fait des chorus magnifiques, je vais vous faire écouter l'album dans quelques minutes. Vous jugerez par vous-même...
On peut considérer Charlie Mc Coy et Brad Cole comme de véritables "chefs d'orchestre". Est-ce que vous leur avez laissé prendre des initiatives personnelles ou avez-vous essayé de les diriger et de leur dicter une "ligne de conduite" ?
Disons que je n'ai pas pu m'empêcher de les orienter (rires)...
Ce dernier terme est plus exact, car je ne les dirigeais pas...
Par exemple j'ai demandé à Brad Cole qu'il me fasse une belle introduction pour "La fille du nord", une musique qui donne l'impression à l'auditeur d'être au cinéma. Je voulais que cette intro soit marquée par des influences de musique classique et de folklore. En gros quatuor à cordes (c'est le Left Coast Strings qui se chargera de la chose, Nda), mandoline et dobro...
Il m'a dit "d'accord" et c'est exactement ce qu'il a fait...
Les interventions de Charlie Mc Coy apportent ce côté "country", le tout avec beaucoup de classe...
Je crois que nous avons fait le tour des musiciens...
Pas tout à fait, car j'ai également constaté la présence de David Hidalgo à l'accordéon. L'idée de l'inviter était-elle liée au fait qu'il accompagne également Dylan sur le nouvel album de ce dernier ("Together Through Life" - Sony Music Columbia) ?
Non.... c'est Dylan qui m'a pris David Hidalgo (rires) !
Au moment de l'enregistrement je ne savais pas que Dylan avait également collaboré avec David Hidalgo. Je cherchais un accordéoniste et je voulais faire appel à Flaco Jimenez, l'accordéoniste préféré de Ry Cooder. N'étant pas disponible, c'est Brad Cole qui m'a proposé de faire appel à David qui est l'un des meilleurs dans sa spécialité et qui a su m'apporter ce son tex-mex. C'est alors que j'ai découvert qu'il était le leader du groupe Los Lobos que j'apprécie particulièrement.
Il fait un solo d'accordéon, dans le titre chanté avec Arno, qui est absolument magnifique !
Le fait d'avoir enregistré les bases musicales à la fois à New-York, Los Angeles et Nashville était-il aussi un souhait personnel ? Ce sont des villes qui ont vraiment marqué la carrière de Bob Dylan.
Bien sûr !
C'était aussi une obligation car certains musiciens étaient "bloqués" à Nashville et ne pouvaient se rendre à Los Angeles et New-York...
Je tiens aussi à rendre hommage aux filles qui font les choeurs sur l'album, elles sont exceptionnelles (Amy Keys, Carole Rowley, Gaëlle Hervé) et aux cuivres présents sur "Tout le monde un jour s'est planté" et "Tu dois servir quelqu'un" (Harry Kim & Nick Lane).
Le disque s'est fait d'abord à Nashville puis à New-York, Los Angeles (musiques) puis à Bruxelles et Paris (ajouts musicaux + voix sauf Johnny Hallyday enregistré à Hollywood).
Avez-vous tout supervisé ? Vous êtes-vous rendu à toutes les sessions ?
Pas à chaque fois mais pratiquement...
Bien que je maîtrise mal la technique des ordinateurs, nous avons beaucoup conversé par téléphone, vidéo etc...
Nous avons travaillé de façon magique bien qu'il fallait tenir compte des impératifs de tout le monde.
Le résultat est exceptionnel, si vous oubliez tout ce que je viens de dire vous aurez l'impression que nous sommes tous ensemble en studio, à jouer en direct et en une seule prise...
Avez-vous guidé les chanteuses et chanteurs dans la façon d'interpréter Dylan ?
Oui !
Il ne s'agissait pas de "singer", de copier ou de rester collé au style de Dylan. J'ai simplement souligné que c'est le seul à avoir le droit de se "déstructurer", de changer ses accompagnements et de "casser" ses mélodies. Je me suis donc attaché à faire surgir la mélodie initiale en restant le plus près possible des notes. Je voulais être mélodieux, proposer des harmonies claires ainsi qu'une orchestration qui devrait ne pas pouvoir être datée.
Je pense que dans 5 ou 10 ans, on ne saura pas à quel moment a été fait ce disque. Avec cet album les gens vont vraiment découvrir que Dylan est un grand mélodiste, que ses chansons sont chantables...
Mon disque devrait, par exemple, pouvoir aider un jeune débutant musicien à déchiffrer Dylan au sens propre et au sens figuré puisqu'il comprendra les mots, le sens de la chanson, l'harmonie et la mélodie...
J'ai voulu donner un caractère un peu classique et académique, un peu romantique aussi...
J'ai également tenu à ce que chaque titre contienne un clin d'oeil, à la fois pour le sujet et le partenaire avec qui je la chante. A titre d'exemple l'arrangement pour Lavilliers à été spécialement conçu pour lui, idem pour Johnny, Carla Bruni etc...
Au final je crois que c'est réussi dans la mesure où c'est la première fois que j'écoute un disque d'Hugues Aufray avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de plaisir (rires)...
Petit "bémol" complètement personnel, il y a quelqu'un que je m'attendais à entendre sur cet album car j'avais adoré votre rencontre artistique sur la scène de La Cigale il y a deux ans. Il s'agit de Paul Personne...
(Hugues semble sincèrement désolé) Oui....
Choisir, c'est renoncer, choisir c'est éliminer... Nous ne pouvions pas avoir tout le monde et il y a beaucoup d'autres artistes que j'aurais aimé avoir. Je ne vais pas les nommer pour ne pas les décevoir...
Puisque vous avez nommé Paul Personne, sachez que je l'aime beaucoup. C'est un type que je respecte mais il n'y avait plus de place, Universal estimait déjà qu'il y avait trop de titres comme ça (11 duos figurent sur l’album).
Je pensais que vous alliez me parler de quelqu'un d'autre que je voulais inviter sur ce CD. Pourquoi ne pas le dire, c'est Renaud....
Je n'osais pas vous poser la question... De plus, comme il avait participé à l'album "Aufray Trans Dylan" je m'étais dit que c'était, peut-être, pour éviter une forme de répétition...
(Hugues souffle, de plus en plus désolé) J'avais une chanson formidable pour lui....
Renaud est, actuellement, difficile à joindre. C'est un garçon qui a du mal, un mal de vivre...
Autrefois c'était l'alcool. Aujourd’hui je ne sais pas exactement ce qu'il se passe. Ce serait mentir de dire que je ne l'avais pas choisi. Je n'ai pas réussi à le convaincre et ce sera un regret que le public partagera certainement avec moi...
Ne serait-ce que dans votre interview, il est là et je pense à lui avec affection et beaucoup de chagrin...
Je pense qu'il avait des raisons valables, c'est comme ça...
Et Bob Dylan ! Comment a-t-il réagi lorsqu'il a appris que vous prépariez un nouveau disque basé sur son oeuvre ?
Je lui ai fait écouter "New Yorker" et, pour ne rien vous cacher, il a eu la gentillesse d'écrire un petit texte pour présenter mon disque. Il a terminé ce mot en écrivant quelque chose comme "En écoutant les chansons que Hugues a enregistrées, j'ai l'impression qu'elles ont été écrites d'abord en français et que je les ai traduites en anglais"...
J'avoue que je n'aurais pas osé lui demander d'écrire une chose pareille (rires) !
Je ne partage pas du tout son avis. Je l'aime beaucoup et l'admire mais là je crois qu'il dit des bêtises.
J'essaye de transmettre ces chansons du mieux que je peux mais je tiens à rappeler à tous que les versions originales de Bob Dylan atteignent des sommets inégalables.
Avez-vous essayé de le solliciter afin de l'inviter sur ce disque ?
Je ne peux pas répondre, car nous sommes en train de le faire actuellement (l’entretien a été réalisé le 20 juin 2009, NDA ). Je ne crois pas qu'il viendra chanter, même pas qu'il viendra parler car le "liner note" qu'il m'a écrit est tellement explicite qu'il n'y a rien à ajouter...
En revanche il est dans le disque d'une certaine manière, vous le découvrirez en voyant la pochette (les photos ont été réalisées par Jean-Baptiste Mondino, Nda).
Vous me disiez, tout à l'heure, que c'est un peu "la main de Dieu" qui s'est posée sur cet album. Ne serait-ce pas, plutôt, la main de Dylan qui vous a porté chance ?
Oui, je pense...
Sur ce disque il y a une chanson que je chante seul. C’est une nouvelle adaptation issue de son album "Slow train coming" (1979), qui se nomme "Gotta serve somebody". Elle est peu connue et je l'ai traduite ainsi "Tu dois servir quelqu'un" :
Que tu sois ambassadeur en France ou en Angleterre
Que tu sois un bon danseur ou un as au poker
La star des rings, le boxer, World champion des lourds
Une étoile de la jet set ou une longue fille de cour
Dans tous les cas tu dois servir quelqu'un
Oui tu dois devoir servir quelqu'un
Ca peut bien être Satan, ça peut bien être Dieu
Quoiqu'il en soit, tu dois pouvoir servir quelqu'un
La réponse est que j'ai essayé de servir Bob Dylan qui n'est pas Dieu mais qui est, en tout cas, Orphée...
C'est quelqu'un qui a eu, toute sa vie, le regard levé vers le ciel pour essayer d'entrevoir la lumière et de comprendre les hommes. Il est sûr que ce n'est pas la main de Satan qui s'est posée sur moi pour faire ce disque. Je ne sais pas si c'est celle de Dieu, en tout cas c'est la main de la chance et ça je crois que c'est Dylan qui me l'a soufflée !
A l'horizon se profile votre rentrée parisienne au Grand Rex (6 et 7 novembre 2009). Je suppose que votre setlist va évoluer et faire la part belle aux chansons de cet album ?
J'ai une idée dans la tête mais je ne peux pas encore en parler car elle ne se réalisera peut-être pas...
Je ne peux pas envisager d'avoir 11 vedettes sur la scène du Grand Rex mais s'il y en a 1 ou 2 qui ont la gentillesse de venir chanter avec moi, ce sera déjà pas mal...
Je vais essayer de rester le plus près possible de cet album mais le plus grand problème pour un homme qui a 50 ans de carrière, ce sont ces 50 ans de carrière....
Il faut que je trouve l'équation idéale entre le "très loin" passé, le "moins loin" passé, le passé et le présent...
N'est-ce pas trop frustrant pour un artiste populaire de devoir mettre de côté des titres issus d'albums artistiquement très audacieux au profit de grands classiques incontournables ?
J'ai une idée derrière la tête...
Quand je dis que le public ne m'a jamais quitté c'est une vérité mais il y a un petit mensonge par omission. Ceux qui ne m'ont jamais quitté, ce sont les tout petits qui chantent "Santiano" à l'école. Ceux qui m'ont suivi sont les plus âgés qui m'ont découvert à mes débuts. Ceux que je ne voyais plus à mes concerts sont les adolescents qui, eux, sont marqués par l'actualité (Star Ac' & co).
Cela va très vite, si vous allez voir aujourd'hui un concert de Renaud, vous constaterez qu'il n'y a plus d'adolescents mais une majorité de gens entre 30 et 50 ans, voire plus....
Si je peux, avec ce disque, toucher les jeunes de 15 à 19 ans et que je peux remplir des grandes salles ou de grands espaces en plein air. Alors je souhaiterais, d'ici deux ans, refaire une tournée en reprenant des titres de "Transatlantic", ne pas être obligé de chanter tous mes classiques du type "Céline" ou "Le petit âne gris" que, par ailleurs, je ne renie pas.
Mais si je pouvais à nouveau chanter "Maman aimait les hors la loi" et tous ces titres réalisés durant les 25 ans pendant lesquels je n'avais pas de maison de disque…
Pareil pour la chanson dédiée à Coluche (écrite avant la mort du célèbre comique français et sortie peu après, Nda) "Tu t'en iras". Si je la chante, les gens la trouveront jolie mais ça s'arrêtera là car elle ne leur rappellera rien....
J'aimerais faire une tournée un peu "folle" durant laquelle je resterais, peut-être, trois heures sur scène. Si je chante une partie de "Transatlantic" je devrai peut-être faire quelques classiques lors des rappels.... cela suppose au moins 2h30 à 3h00 de spectacle.
C'est faisable si ce sont des jeunes de 18 ans qui viennent me voir. Les vieux ne tiendraient pas le coup 3 heures et les plus jeunes devraient se coucher (rires) !
C'est difficile mon vieux....
C'est difficile d'être et d'avoir été (rires) !
Il y a quelqu'un que je ne nommerai pas, un animateur de télévision célèbre qui m'a dit un jour "Avec toi, le problème c'est que ta carrière a duré très longtemps"...
Il n'a pas tout à fait tort et je ne l'ai pas pris mal...
Quoiqu'il en soit, on essayera de faire cette tournée un jour...
Vous avez joliment transmis Dylan. Aujourd'hui, beaucoup d'écoles portent votre nom. D'une certaine manière on transmet Aufray. Que cela vous fait-il ?
Je n'en suis pas trop conscient. J'ai fait beaucoup de chansons populaires et les gens, même les adolescents, me reconnaissent dans la rue...
Par contre, peu connaissent la version de "Like a rolling stone" de l'album "Aufray Trans Dylan" qui, pourtant, avait une bonne ambiance...
Il y a, peut-être, une petite "légende Aufray" qui se forme mais cela ne me préoccupe pas. Le fait d'être connu ne m'angoisse pas plus que le fait d'être un inconnu. Je trouve les choses normales, je fais un métier public... Si je vais à un endroit où les gens ne me reconnaissent pas, je ne suis pas vexé, je ne suis pas une vedette mondiale. D'ailleurs des vedettes internationales il n'y en a pas beaucoup....
Concernant les écoles, cela me fait plaisir mais je n'accepte de donner mon nom que si c'est le choix des enfants. Lorsqu'on me le demande je tiens à ce que l'on fasse écouter plusieurs artistes aux enfants. Si c'est moi qui viens en tête, alors j'accepte. Ce doit être la raison pour laquelle 1 ou 2 artistes ont plus d'écoles portant leurs noms que moi, ça n'a aucune importance...
J'ai appris cela de Mère Teresa qui disait qu'il ne fallait jamais additionner les hommes. 300.000 personnes ne sont pas plus importantes qu'une seule...
C'est assez curieux car 280 personnes qui meurent dans un accident d'avion semblent plus important que 280 personnes qui se tuent sur la route. Je fais beaucoup d'analyses philosophiques et je lis beaucoup de livres de sciences, de mathématiques, de philosophie etc...
La raison est, peut-être, que les 280 personnes sont montées dans un avion dont ils n'ont pas la direction. Ils ont choisi la date et l'heure du départ mais ils n'ont aucune responsabilité en ce qui concerne le vol. Si l'avion tombe, on dit que c'était le destin. Si ces 280 personnes se tuent sur la route, certaines seront peut-être responsables. Quelques-uns auront bu, seront partis à des heures auxquelles il ne fallait pas partir, avaient une voiture en mauvais état etc...
Le fatalisme est, dans ce cas moins évident....
Mère Teresa disait "quand tu aimes un homme, quand tu soignes un homme, quand tu pardonnes à une personne, tu pardonnes à l'humanité...". C'est comme cela que je conçois l'être humain. L'humain ne s'additionne pas comme des vaches ou des cochons que l'on mène à l'abattoir ou au pré. C'est un respect de la nature humaine...
Auriez-vous une conclusion à ajouter ?
Il y a une très belle chanson, dont nous n'avons pas parlé, qui figure dans ce disque. Joan Baez l'avait chanté, elle se nomme "Ring them bells"...
"Cloches sonnez"
Cloches sonnez de Sainte Marthe pour les malheureux
Cloches sonnez que tous les peuples sachent qu'il n'y a qu'un seul Dieu
Quand le berger s'endort sous le grand saule qui pleure
Les brebis sont dehors, égarées dans la peur
Cloches sonnez pour l'aveugle et le sourd
Cloches sonnez pour l'exilé sans recours
Cloches sonnez pour ces quelques élus
Qui jugent pour les exclus quand les dés sont jetés
Cloches sonnez pour la fuite des heures
Pour les enfants qui pleurent, l'innocent qui meurt...
Tout ça c'est Bob Dylan, "Ring them bells".....
Remerciements : Je tiens, tout particulièrement, à remercier Monique Monnet pour son aide précieuse ainsi que Jean-Yves Billet et, bien sûr, Hugues Aufray pour son formidable accueil et ce bel après-midi passé chez lui... qui restera gravé en moi !
www.huguesaufray.com
www.myspace.com/huguesaufray (non officiel)
Nouvel album d'Hugues Aufray : "New Yorker" - Mercury – 2009
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